jeudi 24 février 2011

Bar en croûte de sel, sauce vierge.

Ami lecteur,

Certaines recettes de ce blog ont été imaginées, réalisées, rédigées et publiées en autant de temps qu'il faut pour rentrer du bureau, passer au Delhaize, cuisiner, manger, boire et écrire. D'autres restent une éternité dans les limbes de notre blog et ont besoin d'un coup de pouce plus que sérieux pour voir le jour, et c'est bien le cas de celle-ci. En effet, voici une recette testée, re-testée, un succès perpétuel et interplanétaire que nous n'avions pas eu l'occasion de partager encore avec l'ami lecteur. Le salut nous vient de l'action combinée d'un fidèle goûteur des recettes de ce blog et de notre bon pape Benoît. Que le pontife fût lié à notre salut, rien d'étonnant: il se murmure même dans les cercles bien introduits de la Curie romaine que le pontifex maximus himself aurait eu vent du présent blog (c'est d'ailleurs assez logique, s'il on admet que Dieu voit tout et qu'il en est l'instrument sur terre, mais nous nous écartons...) L'évêque de Rome donc nous a invité pas plus tard qu'hier dans une mercuriale dont il a le secret à retrouver, pour le Carême, le sens du jeûne pour, comme l'explique le Figaro, "libérer notre cœur du poids des choses matérielles. Concrètement, l'Église catholique demande le jeûne le mercredi des Cendres et le vendredi saint, pour des adultes majeurs et jusqu'à 59 ans. Il consiste à ne prendre qu'un repas par jour avec une collation frugale le matin et le soir. Il est assorti, chaque vendredi de carême et à partir de 14 ans, par «l'abstinence» qui revient à ne pas manger de viande, ce jour-là, rouge ou blanche." Peut-être rasséréné que l'abstinence ne concerne in casu rien d'autre que la consommation de viande, Sébastien C., attentif ami lecteur de Woluwé-Saint-Lambert, n'a néanmoins pas manqué de nous faire part de sa perplexité quant à ses options pour le Carême à venir. Beati, car Godts' Kitchen - faisant honneur à son nom - se targue de proposer le tag Carême qui permettra tant aux amis lecteurs catholiques pratiquants qu'aux allergiques à la viande de trouver leur bonheur en cette période, mais surtout "d'ouvrir notre intelligence au sens ultime de notre existence", dixit le successeur de Pierre.

Habitué à nos digressions tetrapilectomiques qui servent d'incipit parfois fort peu liés à la recette qui suit, l'ami lecteur nous permettra sans doute cette dernière réflexion qui veut le rassurer: l'essentiel du carême n'est bien sûr pas à chercher dans l'abstinence (terme malheureux que Rome semble avoir confondu avec celui beaucoup plus riche d'ascèse), mais dans le trio composé par la prière, le pardon et le partage. Et, à l'aune de ce dernier élément, l'ami lecteur qui a déjà essayé une quelconque de nos recettes, qu'elle implique de la viande ou non, conviendra que nous pourrions appliquer à toutes ce libellé de Carême, ou plus exactement de partage, car, et il en va ainsi de la recette qui suit comme de toutes les autres, la seule chose qui rend un plat meilleur qu'un autre, c'est de le partager avec ses frères.
Ingrédients (pour 2):
  • un beau bar de ligne;
  • 1,5 kg de gros sel;
  • un blanc d'oeuf;
  • pour parfumer la cuisine, un bouquet d'aneth; et
  • pour la sauce vierge, 5 cl d'huile d'olive de première qualité, le jus d'un demi-citron, quelques feuilles de basilic, une ou deux tomates sèchées et une branche d'anteth du bouquet mentionné ci dessus; ainsi que
  • sel, poivre du moulin.
Mise en Place:
1. Le début des opérations à lieu chez le poissonnier - mais l'ami lecteur courageux peut le faire lui-même - à qui il faut demander d'ébarber (enlever les nageoires) et de vider le bar. A cet égard, insister pour qu'il ouvre le moins possible le poisson. Par contre, il n'est pas nécessaire d'écailler le bar.
2. Mélanger le blanc d'oeuf au gros sel et ajouter éventuellement au mélange un peu d'eau pour obtenir une pâte très peu liquide. Ajouter à la pâte à sel quelques brins d'aneth.
3. Fourrer le poisson avec le reste de l'aneth. Dans un plat à four recouvert d'une feuille de papier sulfurisé, ménager un couche de pâte à sel d'un centimètre d'épaisseur et poser le bar dessus. Recouvrir avec le reste de la pâte à sel de façon à former une gangue dont le poisson ne s'échappera pas (non qu'il n'y ait une quelconque chance).
4. Enfourner le tout dans un four chaud, à 200°C, pendant 20 minutes.
5. Durant ce temps, au lieu de s'interroger sur le caractère certes arbitraire, mais infaillible, des instructions sous 4 ci-dessus, ciseler la branche d'aneth, le basilic et les tomates séchées et les incorporer dans l'huile d'olive qu'on aura citronnée et assaisonnée de bon goût.

Envoi:
Le meilleur effet est obtenu en sortant d'un coup le plat du four pour le présenter au convives attablés, et de casser devant leurs regards impressionnés la croûte de sel pour leur présenter le poisson (dont on lèvera les filets à la cuillère) en espérant qu'il sera cuit à point, confiants toutefois que si le Carême est de partage, il est aussi de pardon, et que de toute façon, no guts, no glory. Laisser au convives le soin de verser un filet de sauce vierge par dessus le poisson.

Miscellanées:
On expose ici un mode particulier de cuisson à l'étouffée, mais qui dans les principes ne diffère pas de la cuisson en papillote. En cuisant, l'évaporation produite par le poisson agglomère le sel de façon à en faire une gangue hermétique dans laquelle le poisson cuit. L'intérêt de l'utilisation du sel consiste en ce qu'il a pour effet connexe de dissoudre les écailles, épargnant ainsi la corvée de l'écaillage à l'ami lecteur à son poissonnier. La cuisson en croûte de sel fonctionne donc pour tout poisson ou toute viande "en peau" (daurade, poulet, mais aussi deux filets de saumon qu'on empile, peaux à l'extérieur).

Pour entretenir la conversation:
Ce petit passage des Mémoires d'Hadrien"J'ai expérimenté brièvement avec l'abstinence de viande aux écoles de philosophie, où il sied d'essayer une fois pour toutes chaque méthode de conduite; plus tard, en Asie j'ai vu des Gymnosophistes indiens détourner la tête des agneaux fumants et des quartiers de gazelle servis sous la tente d'Osroès. Mais cette pratique, à laquelle ta jeune austérité trouve du charme, demande des soins plus compliqués que ceux de la gourmandise elle-même ; elle nous sépare trop du commun des hommes dans une fonction presque toujours publique et à laquelle président le plus souvent l'apparat ou l'amitié. J'aime mieux me nourrir toute ma vie d'oies grasses et de pintades que de me faire accuser par mes convives, à chaque repas, d'une ostentation d'ascétisme." 


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